Longtemps, l'éclairage coûta très cher à nos ancêtres, comme le prouvent encore nos "économies de bouts de chandelles", expression née lorsque ces dernières étaient utilisées concurremment aux lampes à huile, tout aussi onéreuses. Qui oubliait d'éteindre une lampe s'entendait généralement rappeler que "les chats ne pissaient pas d'huile", autrement dit que cette huile d'éclairage n'était pas gratuite...
La fée électricité fut sans nul doute une des révolutions techniques qui eut le plus de conséquences sur la vie quotidienne de nos ancêtres, auxquels elle fit une impression que l'on a aujourd'hui du mal à imaginer, et que je vous laisse le soin de découvrir sous la plume d'Annette BLAIN. Ancienne "pupille de l'État" élevée dans un village du Morvan en France, elle raconte dans ses Mémoires comment l'électricité y était arrivée un soir de novembre 1924 :
"L'annonce était officielle, la "lumière" devait arriver ce soir. On avait invité un voisin d'un hameau du village, hameau qui ne serait alimenté que plus tard, et dès la tombée du jour, on s'était donc réunis dans la cuisine pour l'attendre. L'Adine (la fille des fermiers âgée d'une quinzaine d'années) vérifia tous les boutons (interrupteurs), écurie comprise, puis elle se planta derrière le tuyau de poêle, bien trop énervée pour s'asseoir.
Maintenant, il faisait tout à fait nuit, on n'osait plus ouvrir la bouche, on ne bougeait ni pied ni patte, c'était tout juste si l'on respirait. On sursauta tous quand l'horloge asséna son heure... Elle lâchait son dernier coup quand la suspension se transforma en soleil, ce qui nous ferma les yeux brutalement. On fit "Oh ! Hou ! Ah !; on se mit les mains sur les paupières, on ouvrit les yeux derrière les paumes, on tourna le dos à la lumière, enfin on regarda bien en face.
L'Adine bondit sur le bouton et "crac", ce fut la nuit. On hurla ! "Cric", ce fut de nouveau plein jour. Le fermier souleva les franges du globe et l'on admira le petit soleil. On fit "Hé, hééééé". Faut pt'ête pas s'user les yeux, dit-il. Allons, arrêtez !.
Et pour le reste de la soirée, on ressortit la lampe à pétrole..."
À Harzé, c'est le 13 février 1929 que le conseil communal du village présidé par le bourgmestre, Monsieur Maurille SIMON, décida "qu'il serait d'intention d'installer l'éclairage électrique dans toutes les habitations de la commune indistinctement". Six jours plus tard, le même conseil approuva les conditions présentées par la Société d'Électricité de Seraing et Extensions pour la fourniture du courant électrique. Un tournant important s'annonçait dans la vie du village.
Discussions et palabres terminés, on se mit à l'ouvrage. La Société d'Électricité planta les poteaux de sapin, au sommet desquels les ouvriers si hissaient au moyen de "gripettes", pour fixer les isolateurs. On tendit des kilomètres et des kilomètres de fils le long de nos chemins.
Partout, les électriciens, dont notre concitoyen, René AMAND, s'affairèrent dans les installations privées de courant électrique. Installations combien rudimentaires, il est vrai. Trouant murs et plafonds, ils fixaient les tubes, y passaient les fils; chaque pièce fut pourvue d'un énorme interrupteur blanc. Luxe suprême dans les chambres à coucher, un tube reliait la prise de courant du plafond à une autre au bout de laquelle était attachée une tirette dont le déclic allait permettre de se lever sans risque de se casser le nez en cherchant à tâtons l'interrupteur principal.
On vissa les abats-jour (bien modestes) et les ampoules de 25 watts. La Société d'Électricité installa les compteurs particuliers, les relia à la ligne et la population attendit impatiemment le jour J.où la lumière jaillirait.
Le déclic du moins pour le centre du village, arriva le samedi précédant le premier dimanche d'octobre 1929, date de la deuxième fête paroissiale (la petite fête). L'inauguration eût lieu dans la liesse générale : ce fut un extraordinaire évènement, que le petit Marcel DACHOUFFE, célébra en fourrant son doigt dans une prise de courant. Dieu merci, on en fut quitte pour la peur !
Ce jour là, tout Harzé était sur le seuil des maisons, acclamant et félicitant les ouvriers de la Compagnie d'Électricité dont le défilé cahotant et pour cause, on remplissait à qui mieux mieux le verre que chacun d'eux tenait en main; bien sûr avec du pèkèt ! Ces hommes lumière chantaient "la Madelon"; l'ivresse aidant, ils offraient par ci par là un petit récital particulier à l'une ou l'autre jolie villageoise...jusqu'à l'heure où la nuit venant, ils abandonnèrent le terrain aux habitants qui avaient tant attendu le moment d'éclairer la pièce où ils allaient passer une soirée mémorable sous la lampe électrique ! Certaines familles, soucieuses de leur intimité avaient déjà placé des stores de grosse toile qui furent abaissées avec soin. Mais dans l'obscurité, beaucoup sortirent pour admirer tous les petits points lumineux qui brillaient un peu partout. Nous étions encore bien loin de l'éclairage des rues...mais le bond en avant était prodigieux !
On fêta d'autant mieux la St.Jacques d'octobre et le bal organisé le lendemain au Forum (salle construite en 1920 en face de l'école primaire) eut lieu dans une liesse indescriptible. Nos parents s'en donnèrent à cœur joie, enchaînant valses et polkas, pour clôturer le tout par le quadrille des Lanciers.
Il va sans dire que dans les hameaux et dans les immeubles éloignés d'une route principale, il était encore trop tôt. Comme d'ailleurs pour certaines familles qui manquaient de moyens pour faire face aux frais d'une installation électrique.
1929 ! 25 watts ! Le quinquet ! Que cela nous semble loin ! Nous qui à présent vivons dans le siècle de lumière. Avec l'installation de "l'électrique", le temps était bien révolu où on se baladait d'une place à l'autre de la maison avec un quinquet à la main, de la cave au grenier, laissant le reste de la maison dans le noir. D'aucuns en profitaient bien malicieusement : les amoureux se bécotaient à qui mieux mieux, mais la main qui portait la "lum-rote" était celle de quelqu'un qui, généralement, se souvenait de sa propre jeunesse, et bien courte la trêve...Adamo ne chantait pas encore" Nous promettons d'être sages, comme vous l'étiez à notre âge".
Bien des années passeraient avant qu'à Harzé on ne range définitivement les lampes d'étable qui nous guidaient le soir pour aller passer quelques heures "al sîze" chez les voisin, car à cette époque, la télévision n'avait pas encore mis fin à ces relations amicales du village, ce n'est qu'après le dernier conflit mondial que toute notre ancienne commune fut dotée de l'éclairage public si précieux.
Si, en 1930, notre bonne ville de Liège connut le succès d'une exposition internationale, Harzé lui, connut encore une autre heure de gloire : l'inauguration de la ligne d'autobus "Verviers-Harzé-Verviers". Qui ne se souvient pas des chauffeurs Henri GILSON et le gros GENON ? Dès septembre 1931, les abonnements prirent cours pour les petits Harzéens fréquentant les écoles d'Aywaille, du moins pour les plus nantis d'entre eux. La crise qui s'annonçait depuis longtemps se confirma. Pour la plupart d'entre nous, la bécane resta à l'honneur, bien longtemps au-delà de la dernière guerre.
Mais le confort allait prendre une allure foudroyante et nous amener, en moins d'un demi siècle au cœur d'une société de consommation où il fait bon de se souvenir de temps, à autre d'un passé fait de jours simples et paisibles.
Merci à Anne-Marie BOUDART pour ce joli texte écrit par sa maman Julienne PINCHART.