Le lundi 20 octobre 1930, vers midi, dans la campagne entre Harzé et Awan, le ciel est assombri par d'épais nuages noirs et le vent souffle fort. Des paysans occupés à leurs travaux des champs entendent le bruit d'un avion qui vole à basse altitude.
Soudain, alertés par un craquement effrayant, ils aperçoivent une aile de l'avion, qui arrachée de la carlingue et balayée par le vent, s'envole en direction du nord. L'appareil pique alors dangereusement vers le sol, le crash est inévitable, d'autant que la deuxième aile se brise elle aussi.
L'aéroplane, un Breguet 19B2, Nr 1717 du 12° régiment d'aviation française, s'écrase dans un pré appartenant à Madame de Potter d'indoye, au lieu dit "le Gibet" (endroit où était dressé un gibet autrefois). Les paysans accourent aussitôt mais il n'y a plus rien à faire pour les deux aviateurs. Tout est pulvérisé, déchiqueté, comme le montre les photos ci-dessous.
Merci à Jacques SCHOUMAKERS pour ces deux photos des journaux La Meuse et l'Express de 1930.
Tout juste pouvait-on lire "Unguibus et Rostro" (par le bec et par les ongles) sur le fuselage. Les autorités et les gendarmes arrivent sur le lieu de l'accident. Commence alors la difficile et pénible enquête pour déterminer qui sont les malheureuses victimes.
BREGUET 19B2
Un portefeuille est retrouvé, il s'agit de celui du jeune mécanicien caporal Roger HUET de Rethel, Champagne-Ardennes. Un document signé du père du mécanicien sur lequel il autorise son fils à s'engager pour trois ans dans l'aviation s'y trouve, il est daté de 1929... Une casquette, avec des galons de colonel et le numéro 12 cousus dessus, est également retrouvée. Elle appartient au colonel Maurice HAPPE.
Maurice Lucien Félix HAPPE est né le 15 avril 1882 à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Issu d'une famille de la petite bourgeoisie commerçante, son père est négociant en bois, il fait ses études au lycée Sainte-Croix, au Vésinet, puis à Condorcet, avant d'être admis à Saint-Cyr en 1903. Alors qu'il souhaite faire carrière dans la cavalerie, un coup de pied de cheval le rend inapte à servir dans cette arme.
Nommé sous-lieutenant au 82è régiment d'infanterie de Montargis, puis muté, sur sa demande, au 43e d'artillerie de Rouen avec le grade de lieutenant, HAPPE, séduit par les perspectives qu'offre l'aviation naissante, parvient à se faire détacher en 1912 au Service de l'aéronautique. Son apprentissage, à Versailles, est marqué par un incident qui influence sur le déroulement de sa carrière. En effet, l'avion sur lequel il est observateur capote à l'atterrissage. HAPPE, blessé, décide de ne plus se contenter de ce rôle passif, et, dès le 13 février 1913, passe avec succès les épreuves du brevet de pilote militaire.
Quand éclate la Première Guerre mondiale, il se trouve en poste à l'inspection du matériel, affectation qui est de courte durée, puisque le 13 octobre il est chargé en tant que pilote d'une mission spéciale, qui lui vaut d'emblée la célébrité. Devant effectuer une reconnaissance sur l'itinéraire Tournai-Liège, HAPPE pris dans un temps exécrable, est contraint d'atterrir aux Pays-Bas sur une panne de moteur. Le sang-froid et l'assurance du pilote, qui se fait passer pour un agent civil de la maison Farman, sauvèrent la situation et lui évitent d'être fait prisonnier avec son passager.
Nommé capitaine le ler novembre 1914, il est dirigé sur l'armée des Vosges, où il prend le commandement de l'escadrille de bombardement de Belfort. Il devient alors un véritable as de l'aviation française : attaques de ballons d'observation, nombreuses victoires en combats aériens, mais sa spécialité reste les bombardements d'objectifs en Allemagne.
Légende : "On se souvient que récemment, le capitaine HAPPE bombarda la poudrerie allemande de Rottweil. L'on voit ici ce hardi navigateur de l'air prêt à tenter quelque exploit nouveau sur d'importantes positions ennemies".
Par bravade et pour être reconnu de ses ennemis, qui ont mis sa tête à prix pour la somme de 25.000 marks, il a peint en rouge les roues de son appareil et dessiné des croix sur les plans.
Le 14 décembre 1915, HAPPE, surnommé « Roter Teufel » (Diable rouge) par ses adversaires, prend le commandement du GB.4, groupe de bombardement constitué de la MF.29 et de la C.61. Ses appareils, définitivement surclassés malgré l'adoption du Farman 130 ch, conduisent tout au long de l'année 1916 de dures missions, notamment contre les centres industriels de la plaine rhénane et les terrains d'aviation allemands.
Son tempérament indépendant et quelquefois cabochard qui l'amène souvent à discuter des ordres avec lesquels il n'est pas d'accord lui vaut d'ailleurs, le 15 mars, d'être renvoyé à l'arrière, bien qu'il eût été fait officier de la Légion d'honneur en février. Après avoir passé quatre mois à l'inspection des écoles au pilotage, il sollicite son retour au combat et, affecté au 50e régiment d'infanterie, est envoyé sur le front italien où il démontre à nouveau ses qualités de combattant.
Après la guerre, il fit partie de la mission militaire française en Pologne et, de 1919 à 1923, participa à la réorganisation de l'armée polonaise et aux combats qui l'opposèrent à la jeune armée rouge. De retour en France, il prit le commandement d'un régiment d'aviation stationné dans la ville rhénane de Neustadt.
Affecté ensuite à Reims, il est promu lieutenant-colonel en 1929 et nommé commandeur de la Légion d'honneur.
Ce 20 octobre 1930, Maurice HAPPE et son mécanicien effectue un voyage de Reims-Courcy à Metz, ils sont pris dans le mauvais temps. Avec sa maitrise et son sang-froid habituels, HAPPE essaye certainement de trouver une éclaircie vers le nord pour pouvoir se poser, mais les ailes de l'avion en se brisant condamnent les deux aviateurs. Triste fin pour ce héros de la première guerre mondiale. Il laisse une veuve et six enfants.
-Chevalier de la Légion d'Honneur à 32 ans.
-Officier de la Légion d'Honneur à 34 ans.
-Commandeur de la Légion d'Honneur à 47 ans.
-Croix de guerre 14-18 avec 7 palmes et 1 étoile.
-Croix des T.O.E. avec 1 palme.
-Officier d'académie.
-Décoré de 5 ordres étrangers.
Extrait du journal "Le Figaro" à Paris :
"LIÉGE, 22 octobre. Les corps des deux aviateurs français tués à Aywaille ont été rapatriés aujourd'hui. La levée des corps a eu lieu, à 15 heures, au consulat de France, en présence du comte de Peretti de La Rocca, ambassadeur de France à Bruxelles, et de nombreuses autorités provinciales et communales.
L'absoute a été chantée à l'église Saint-Jacques. Les corbillards disparaissaient sous les fleurs. Le cortège qui accompagnait les dépouilles à la gare était précédé de la musique du 12° régiment de ligne; des détachements des diverses armes de la garnison de Liège y participaient, sous les ordres d'un colonel, ainsi que des délégations des sociétés patriotiques.
Des discours ont été prononcés par le général Wéry, commandant la place de Liége; le général français de Goys et le colonel français Chaubert. Les corps ont été embarqués à destination, celui du colonel Happe, de Saint-Germain-en-Laye, celui du mécanicien Huet, de Rethel."
Le 25 octobre 1930, à Saint-Germain-en-Laye, l'aviation française tout entière conduit ce grand soldat à sa dernière demeure. Les aviations étrangères sont là, même Willy COPPENS le"grand as" belge est venu rendre les derniers devoirs à son frère de l'air.
Une rue porte son nom à Saint-Germain-en-Laye.
Stèle commémorative érigée à l'endroit de l'accident. Elle fut inaugurée le 6 octobre 1969.
La stèle de nos jours.